"Mon" éclipse totale de Soleil du 11 Août 1999

Un concentré d'émotions ...


 

 

Mercredi 11 Août 1999, 6h45

Le réveil sonne ... bon sang, j'y crois pas, ça y est, le grand jour est enfin arrivé !

Depuis que je m'intéresse de près à l'Astronomie (une bonne quinzaine d'années maintenant) je révais de voir ce spectacle que tous les astronomes, qu'ils soient professionnels ou amateurs, s'accordent à qualifier de magique ... et c'est pour aujourd'hui ! Un regrêt pourtant : Nathalie est à son 5ième jour post-natal, à l'hôpital, et ne pourra pas voir le spectacle avec nous.

Cela fait une semaine que j'écoute les bulletins météo à la télévision, que je regarde toutes les 12 heures l'évolution des prévisions sur le site internet de Météo-France ... et cela fait une semaine que je me ronge les ongles.

J'allume pour une dernière fois la radio : on annonce des brumes qui auront du mal à se dissiper. Mais l'espoir persiste pour l'heure H (entre 12h 20 à Fécamp et 12h 40 à Strasbourg pour la phase de totalité). Et si Météo-France donnait des nouvelles optimistes à tord ? Bon, de toutes façons on n'y peut rien, on verra bien ...

Je réveille les enfants :

"Alors, c'est l'éclipse aujourd'hui papa et il va faire nuit à midi, les animaux vont aller se coucher ?".

"Oui Alexandre, enfin j'espère qu'on va la voir ..."

Je me prépare et j'habille tout ce petit monde vite fait. Le départ de LEVALLOIS est prévu à 8 heures avec mon beau-père et Sakina, une amie ...

J'ai décidé de voir l'éclipse au centre de la bande de totalité à Montdidier (j'avais initialement prévu d'aller à Fécamp, mais avec les enfants, ça faisait loin et il aurait fallu y aller la veille). Au vu de la météo, de toutes les façons, il fallait être mobile puisque le beau temps n'était pas garanti. Je verrais donc bien sur place !

 

Mercredi 11 Août 1999, 8h10

Mon beau-père arrive, suivi de près par Sakina. Bon, qu'est-ce que j'oublie :

Bon, go ...

 

Mercredi 11 Août 1999, 9h00

Ca va, pas encore trop de monde sur l'autoroute A1. C'est la sortie pour SENLIS. Chouette, on vient de rentrer dans la future bande de totalité. Mais merde, le ciel est gris ... merde, merde et merde !

Arrivé à la hauteur de la sortie pour NOYON (site officiel de l'Association Française d'Astronomie), ça ralentit fortement. Pas étonnant.

 

Mercredi 11 Août 1999, 9h45

Eh ben, on n'est pas les seuls ... un embouteillage, et un beau ... Je ne me doutais pas encore qu'il nous faudrait 1 h 40 pour faire les 400 m qui nous séparaient du péage de la sortie pour Montdidier ! Les minutes passent, le ciel me semble de plus en plus gris ... et ça n'avance pas. Bientôt, je me résigne, le coeur gros, de ne pouvoir atteindre Montdidier à temps. Tant pis, on sortira et on avisera.

 

Mercredi 11 Août 1999, 11h20

Enfin la sortie. Petite surprise, les agents d'autoroute nous laissent sortir sans payer ... toujours ça de gagné. Bon, vite, la totalité est dans moins d'une heure ...

Peu après la sortie de l'autoroute, je repère un champ bien dégagé. De nombreuses voitures se sont déjà garées sur les bas-côtés. Je fais quelques centaines de mètres, puis je décide de m'arrêter.

Sortie du barda et installation au beau milieu du champ. Les enfants : "Papa, on a faim". Bon, on va manger.

 

Mercredi 11 Août 1999, 11h40

Le sandwich à la main, je regarde le ciel de tous côtés ... pas d'amélioration en vue. Pire, je vois la pluie au loin qui nous arrive dessus ! Angoisse, que dis-je ... panique : j'aurai fait tout ça pour rien.

Soudain, j'aperçois au loin (à 15 km environ) une trouée de ciel bleu assez importante. Je crie : "On remballe tout et on fonce".

On reprend la voiture et, à l'instinct, à la "Twister" (ceux qui ont vu ce film ébouriffant comprendront), je tente d'aller le plus vite possible, dans la direction de ce ciel bleu providentiel.

 

Mercredi 11 Août 1999, 12h

Petits chemins de campagne, 100-120 km/h, j'entends mon beau-père penser : "Il est complètement fou, on va se tuer !". Derrière, Sakina et les enfants ne sont pas très rassurés. Je ne pense qu'à une chose, être dans la trouée 5 minutes au moins avant la totalité. Nombreux coups d'oeil à l'horloge du tableau de bord. On sent la lumière se faire moins forte et le ciel prendre une teinte crépusculaire. Devant moi, un belge que j'ai rattrapé semble faire les bons choix de routes. Je le suis. Derrière moi, un anglais essaie de me suivre. Soudain, le belge tourne à gauche. Je m'arrête, regarde le ciel. On est pas loin, mais je pense que le belge a eu tord et décide d'aller tout droit. Je ne cesse de me répéter : "Je vais y arriver. Je vais y arriver".

 

Mercredi 11 Août 1999, 12h10

Il fait de plus en plus sombre. Ca y est, on est dans la trouée, on entrevoit le soleil quasiment occulté. J'ai réussi, pari gagné. Je stoppe la voiture sur le bas-côté sans trop de ménagement.

Tout le monde sort et met ses lunettes. Il était temps. Le soleil doit être occulté à 98% environ. Les secondes passent, la température baisse sensiblement et un petit vent frais se lève (je sais ce que j'ai oublié, un pull !). J'essaie d'apercevoir les fameuses ombres volantes autour de moi, mais en vain (l'excitation sans doute). Je remet les lunettes : un très fin croissant de soleil reste visible, les derniers "grains de Baily" ... puis le noir. Je dis à tous qu'ils peuvent retirer les lunettes ...

Je crois que les deux minutes et des poussiières qui ont suivi resteront un des moments les plus émouvant de ma vie (je sèche encore une petite larme et quelques frissons me parcourent encore le dos en écrivant ces lignes).

En une fraction de seconde, la couronne solaire apparaît ainsi que deux magnifiques protubérances violettes à la base du Soleil. Je regarde maintenant aux jumelles : c'est superbe ! Puis je passe les jumelles à Sakina et aux enfants. J'en profite pour regarder le spectacle à l'oeil nu : "Regardez, on voit parfaitement Vénus et Sirius !"

Une nuit d'hiver en un jour d'été : incroyable ! Autour de nous, c'est presque la nuit sans l'être tout à fait. C'est une impression troublante, une luminosité particulière, un peu comme une nuit de pleine lune, mais de couleur jaunâtre. Toutes les 5 secondes, Alexandre dis :"Oh c'est beau". Les autres personnes qui admirent le spectacle sont silencieuses, comme nous subjuguées par cette atmosphère unique. Je regarde à nouveau le Soleil et m'aperçois que c'est déjà bientôt fini.

Ordre de remettre les lunettes. C'est terminé, le bord du soleil réapparait.

On se regarde, on commente mais on est toujours dominés par l'émotion.

2 minutes et 7 secondes qui resteront gravées à jamais dans nos mémoires.


 

Jean-Pierre HAIGNERE (spationaute français à bord de la station Mir au moment de l'éclipse) :

"C'est comme le doigt de Dieu qui passe sur la Terre"