Les grands joueurs

qui ont contribués à l'évolution du jeu (suite) 

 

 

Steinitz (17 Mai 1836 - 12 Août 1900)

Après la retraite de Morphy, la domination des joueurs surdoués, des talents naturels, allait s'interrompre pour laisser la place aux "travailleurs de échecs".

Né à Prague, Wilhelm Steinitz était issu d'un milieu pauvre. Ses parents voulurent qu'il soit rabbin, mais c'est en mathématiques qu'il se montrait le plus doué. Il fut envoyé à l'université de la capitale autrichienne. Mais le virus des échecs l'avait atteint et il décida de faire carrière dans le jeu.

Mais pour percer, il lui fallait un mécène. Et pour se faire remarquer, il lui fallait adopter un style percutant et spectaculaire. C'est à contre-coeur qu'un esprit cartésien comme le sien se lançait dans l'aventure des attaques spéculatives. Le besoin de rationnaliser se fit bientôt sentir et ce "besogneux des échecs"allait émettre des principes qui sont le fondement des échecs modernes :

  • placement des pièces et structure des pions

  • importance matérielle d'un simple pion

Cette façon de jouer n'était pas du goût du public. Il fallut attendre une trentaine d'années pour que le bien-fondé des idées de Steinitz soit reconnu.

Steinitz gagna son premier tournoi en 1859 à 23 ans, et termina 3ème dans une compétition réunissant les meilleurs joueurs viennois.

En 1861, il remporte son premier tournoi en gagnant 30 parties et n'en perdant qu'une. Mais au tournoi de Londres de 1862, il ne parvint pas à confirmer et termina péniblement 6ème (vainqueur Anderssen). Vexé, Steinitz se remit à travailler. Après une victoire timide devant le champion italien Serafino Dubois (+5, =2, -3), Steinitz partit pour Londres.

Il y rencontra le fort joueur anglais Joseph Henri Blackburne. Personnage truculent, bon vivant, ne se prenant pas au sérieux, son caractère enjoué faisait de lui le champion le plus populaire de l'époque. Il était capable de gagner contre n'importe quel joueur. Voici un exemple de ses fameux "coups de Trafalgar".

Après des parties telles que celle-ci, les supporters de Blackburne ne doutaient pas que les attaques irrésistibles de celui-ci allaient avoir raison du style "bétonné" de Steinitz. En effet, l'écrasement eu lieu, mais en sens inverse ! Steinitz l'emporta (+7, =2, -1).

Restait un dernier rempart : Anderssen. Il était redevenu n°1 depuis sa victoire au tournoi de Londres de 1862. Le match fut organisé, le vainqueur étant celui qui atteignait 8 victoire, les parties nulles ne comptant pas. Pour la première fois, on jouerait avec une limite de temps (4 h pour 40 coups, puis 2 h pour les 20 coups suivants, etc ...). Après avoir perdu la première partie, Steinitz remporta les 4 suivantes ! Anderssen réussi à revenir au score à 6-6. Steinitz remporta la 13ème partie, puis la 14ème : 8-6. Steinitz se proclama champion du monde !

Henry Bird, qui n'appréciait pas le jeu timoré de Steinitz, voulu prendre sa chance en tant que challenger. Steinitz l'emporta, mais par une marge étroite (+7;-5; =5).

Steinitz était caractériel. En colère il lui arrivait de frapper son adversaire. Aux échecs, il a constesté les idées reçues et a ainsi fait progresser la théorie. C'est le premier qui imagina de jouer de façon négative, c'est-à-dire de tenter de contrecarrer le jeu de l'adversaire avant de penser à son propre jeu.

S'étant fait trop d'ennemis, Steinitz émigra aux Etats-Unis en 1883. Pour gagner sa vie, il lui fallut donner de nombreuses exhibitions et il fonda une grande revue d'échecs : The International Chess Magazine, dans laquelle il ne manquait pas d'écrire des critiques acerbes et parfois injurieuses envers ses adversaires.

Son ennemi juré, Johannes Zukertort (1842-1888), élève d'Anderssen, proposa un match à Steinitz. Zukertort était le seul joueur capable de battre Steinitz. En effet, il termina premier du tournoi de Londres de 1883 à 3 points devant ... Steinitz. Le match débuta en Janvier 1886. Bien que Steinitz remportat la première partie dans un style qu'on ne lui connaissait pas (sacrifiant un cavalier contre trois pions), Zukertort gagna les 4 parties suivantes. On crût alors que Zukertort n'allait faire qu'une bouchée de Steinitz quand celui-ci remporta les 2 parties suivantes. Zukertort ne s'en remit pas et perdit le match (+10, =4, -5). Steinitz devint alors officiellement champion du monde.

Pendant ce temps, à Saint-Petersbourg, Mikhail Tchigorine (1850-1908) se dévouait à la cause des échecs. Il fonda une école d'échecs dont sortirent plusieurs grands maîtres. On dit souvent que Tchigorine fut le père des échecs soviétiques. Sans lui, il n'y aura peut-être pas eu les Alekhine, Botvinnik, Smyslov, Petrossian, Spassky, Kortchnoï et autres Karpov. Tchigorine considérait que le cavalier était plus puissant que le fou. En début de partie, il sortait ses fous, les échangeait contre les cavaliers adverses. Un match fut organisé entre Tchigorine et Steinitz mais Tchigorine ne put battre l'autrichien (10-6), malgré les 53 ans de ce dernier. Steinitz avait changé son jeu. Il jouait plus simple, et donc de façon moins fatigante.

Un nouveau match fut organisé. Steinitz rencontrait cette fois le hongrois Isidore Gunsberg (1854-1930). Bien que celui-ci avait battu Henry Bird et Joseph Blackburne, il ne parvint pas à détrôner Steinitz (+6, =9, -4)

En 1892, un nouveau match entre Steinitz et Tchigorine eut lieu. Lors de la 23ème partie, alors que Steinitz menait 9-8 et que, donc, Tchigorine devait remporter la partie (10 victoires pour Steinitz et ce dernier gagnait le match), il commit une énorme bévue :

STEINITZ

TCHIGORINE

32. Fb4 ???, la gaffe la plus tragique de l'histoire des échecs. Tchigorine abandonne avant même que Steinitz ne joue 32. ..., Txh2+ suivi de Tdg2 mat ! Steinitz restait champion du monde.

Approchant 60 ans, Steinitz savait qu'il ne pourrait plus garder lontemps la première place. D'autre part, il fut durement affecté par le décès presque simultané de sa femme et de sa fille de 18 ans. Mais des ploblèmes d'argent l'empêchaient de prendre sa retraite.

Emmanuel Lasker, âgé de 25 ans, allait alors lui ravir son titre en 1894, par une victoire aussi nette que surprenante (+10, =4, -5). Steinitz demanda une revanche en 1896, à Moscou. Ce fut une véritable déroute pour Steinitz, qui perdit par 10 à 2. Puis Steinitz commença à avoir des troubles mentaux : il dut faire un séjour dans un asile. A plus de 60 ans, il renoua avec les tournois, allant même jusqu'à remporter le tournoi de Londres de 1899 !

En 1900, ses troubles mentaux réapparurent. Il affirmait pouvoir téléphoner à Dieu et le défier dans un match en lui offrant un pion ! Steinitz s'éteignit le 12 Août 1900 à New York.

 

Emmanuel Lasker (24 Décembre 1868 - 11 Janvier 1941)

Né à Berlinchen, il fut envoyé à Berlin à l'âge de 11 ans pour y étudier les mathématiques. Ce n'est qu'à 15 ans qu'il s'intéressa sérieusement aux échecs. Il acquit le titre de maître à 20 ans en remportant le tournoi de Breslau. Mais Lasker se fit vraiment remarquer à partir de 1892 en gagnant coup sur coup 2 tournois à Londres et surtout grâce à sa victoire impitoyable contre le vieux Blackburne qu'il écrasa 6-0. Il partit ensuite aux Etats-Unis en vue de la conquête du titre mondial.

Il faisait véritablement contraste avec Steinitz. Jeune homme courtois, bien élevé, modeste, il n'avait jamais de parole désobligeante envers son ancien adversaire.

Bien que professionnel des échecs depuis l'âge de 23 ans, Emmanuel Lasker avait de nombreux autres centres d'intérêts : les mathématiques et la philosophie notamment. L'ami le plus célèbre de Lasker était Albert Einstein. Ils avaient de longues discussion sur la Théorie de la Relativité, dans lesquelles Lasker jouait le rôle du sceptique.

Lasker fut le champion du monde le plus détaché vis-à-vis des échecs. Sa carrière connut des interruptions de plusieurs années durant lesquelles il s'essayait dans d'autres domaines (bridge, jeux de stratégies).

Dans les échecs, Lasker introduisit un nouveau facteur : le caractère de l'adversaire dans le choix d'un coup. Sa spécialité consistait à mettre exagérément l'adversaire en confiance. Il se plaçait dans une position défensive jusqu'au moment où son adversaire, ne sentant pas le danger, se découvrait un peu trop. Lasker lançait alors une contre-attaque, punissant le relâchement de son adversaire.

En 1903 commencèrent des tractations pour un match contre le champion des Etats-Unis, Frank Marshall. 4 années furent nécessaires pour qu'elles aboutissent (les exigences financières de Lasker étaient énormes).